La sonnerie des cloches le jour de Pâques à la Giralda de Séville


La sonnerie des cloches le jour de Pâques à la Giralda de Séville

Rien de plus pittoresque... et de plus dangereux que la façon dont s' y prennent les sonneurs de la Giralda de Séville pour mettre les cloches en branle.

La Giralda, on le sait, est le campanile de la cathédrale de Séville. Elle domine tous les clochers de la ville et n' a pas moins de 350 pieds de haut.

Les cloches sont suspendues à une grande hauteur, dans l' embrasure de très hautes fenêtres. Elles se trouvent donc, en quelque sorte, en dehors du clocher, à l' air libre. Ainsi leur son s' échappe et se répand sur la ville sans qu' aucun obstacle l' arrête ou l' affaiblisse.

Détail curieux : on retrouve cette disposition singulière à Bruges, dans le carillon du beffroi.

Pour sonner les cloches à la Giralda, les sonneurs se suspendent et se balancent à l' extrémité des cordes, et le mouvement de pendule qu' ils impriment eux-mêmes les fait se balancer dans le vide, ainsi que le montre notre gravure. Certains d' entre eux s' accrochent à la cloche elle-même, s' y tiennent à califourchon. Sur leur monture de bronze, on les voit, nouveaux centaures. emportés dans l' espace.

Et, d' en bas, les curieux, les étrangers surtout, qui suivent ces extraordinaires acrobaties, tremblent pour les sonneurs.

Mais ces hommes ont tant de vigueur et de sang-froid qu' il est rare de les voir lâcher prise. Parfois, cependant, ils se fendent quelque peu le crâne contre une arcade, tant l' espace est restreint entre la cloche et la muraille.

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Variété - Sonneurs de cloches

Causerie de Pâques. - Un personnage de légendes. - Histoire fantastique d' un carillon flamand. - Dynasties de sonneurs. - Comment on sonne le bourdon de Notre-Dame. - La cloche de la Saint-Barthélemy. - Carillons et carillonneurs

Pâques est le grand jour pour les sonneurs de cloches, le jour solennel où, de toute la force de leurs bras, ils mettent en branle campanes et bourdons. Ce jour-là, le sonneur est le maître des régions éthérées ; il les emplit de la voix sonore de ses carillons. En dépit d' un vieux dicton qui le représente comme un fervent ami de la dive bouteille, c' est surtout de musique aérienne que le sonneur se grise ce jour-là.

Le sonneur de cloches était, jadis, un personnage étrange, mystérieux, fantastique. Il habitait dans le clocher, vivait avec ses cloches qu' il connaissait, qu' il aimait et dont la voix lui était familière. Le romantisme a singulièrement exploité ce type. Peut-on parler du sonneur sans évoquer immédiatement la figure grimaçante de ce terrible Quasimodo que créa l' imagination puissante de Victor Hugo ?

Dans les traditions populaires de tous les pays, il est maintes et maintes histoires où les sonneurs, les carillonneurs, les veilleurs de beffroi jouent leur rôle. Qui dira les innombrables légendes dont ces hôtes des antiques clochers sont les héros ?...

Mais le temps est passé de ces histoires miraculeuses. Les vieux villageois eux-mêmes les ont oubliées. Le scepticisme moderne a débarrassé le sonneur de son auréole fantastique. Pour les gens d' autrefois, la sonnerie des cloches était un chant ; c' était la voix de la foi qui montait au ciel comme un encens harmonieux. Pour les gens d' aujourd' hui, ce n' est plus qu' un bruit, un bruit souvent fâcheux qui les importune et trouble leur tranquillité.

N' a-t-on pas, en maintes localités, interdit les sonneries de cloches comme attentatoires à la liberté de penser et à la quiétude des citoyens ?...

Les cloches ne protestent pas : elles sont résignées au silence. S' il faut en croire la légende, il n' en fut pas toujours ainsi. J' ai

ouï conter, dans mon enfance, l' histoire des cloches d' une vieille abbaye de Flandre que les sans-culottes enlevèrent, en 1792, pour en faire des canons. On les avait descendues à grand'peine du clocher où, depuis des siècles, elles chantaient de matines jusqu'à vêpres, et on les avait déposées sur un lourd chariot garni d' un épais lit de paille. Il s' agissait de les conduire à la fonderie de Douai. En route, le charretier jurait, sacrait sans relâche, et les cloches frémissaient d' entendre de tels blasphèmes.

Et voilà qu' un beau soir - c' était justement le Samedi-Saint, veille de Pâques - comme le mécréant sacrait plus fort que de coutume, les cloches tout à coup s' ébranlèrent, s' entre-choquant les unes contre les autres, emplissant l' air d' un déchaînement de sonorités furibondes ; et puis elles s' enlevèrent d' elles-mêmes et disparurent dans la nuit. L' homme fut retrouvé inanimé auprès de son attelage. Quant aux cloches, elles s' en étaient revenues au clocher abbatial, et le lendemain, dimanche de Pâques, dès l' aube, les gens du pays ne furent pas peu surpris de les entendre sonner à toute volée.

C' étaient là de belles histoires qui jadis faisaient frissonner les gens à la veillée et que seuls se rappellent, aujourd' hui, les amateurs de folk-lore, les fervents des traditions populaires, et aussi les poètes qui aiment la voix des cloches et le pittoresque des clochers.

***

Il y avait autrefois des dynasties de sonneurs de cloches ; les membres d' une même famille se succédaient dans la fonction ; ils mettaient un point d' honneur à se céder le poste de père en fils. C' est ainsi que, aujourd' hui encore, il en est à Notre-Dame de Paris. Le maître-sonneur de la cathédrale, M. Herbet, a voici douze ans, succédé dans cet emploi à son père qui l' avait tenu pendant cinquante-cinq années.

- Mon père, disait dernièrement M. Herbet à un de nos confrères, était un maître sonneur réputé : Victor Hugo le connaissait et a daigné, dans ses écrits, faire son éloge. Quant à moi, dès ma jeunesse, j' ai servi d' aide à mon père ; je puis donc dire que j' ai passé la plus grande partie de ma vie dans les tours de Notre-Dame...

Et il ajoutait quelques détails sur la façon dont on s' y prend pour sonner le bourdon de la cathédrale :

- Ce n' est pas, comme on pourrait le croire, disait-il, une besogne facile que de mettre en mouvement le bourdon de Notre-Dame. Il faut huit hommes pour y parvenir. Ils forment deux équipes, placées de part et d' autre, qui pèsent alternativement sur deux traverses qui commandent la cloche et lui impriment des oscillations plus ou moins rapides, plus ou moins puissantes. C' est que ce bourdon colossal ne pèse pas moins de 16,000 kilos ; sa langue de bronze, longue de 2 m. 70, est du poids de 490 kilos. Il est vrai qu' il ne fait entendre sa voix puissante que dans les grandes solennités.

On sait qu' il a été donné à Notre-Dame par Jean de Montaigne, qu' il fut refondu en 1683 et qu' il eut pour parrain et marraine Louis XIV et Marie-Thérèse d' Autriche. La note solennelle qu' il lance est un fa dièze dont le son retentit jusqu' à Montrouge...

C' est par ce système de pédales qu' on met en branle aujourd' hui à peu près partout les grosses cloches. Ce progrès mécanique a été fatal à l' art du sonneur.

Les maîtres sonneurs d' autrefois, ceux qui, par le mouvement de la corde ou bien en se suspendant à la cloche elle-même, savaient tirer d' elle les sonorités les plus douces ou les plus fortes tour à tour, ont aujourd' hui presque complètement disparu.

A Paris, toutes les cloches sont mises en branle par des pédales, sauf une seule, cependant. Et cette cloche, fidèle aux vieux errements de l' art du sonneur, est une cloche historique : c' est la cloche de Saint-Germain-l' Auxerrois qui sonna le massacre de la Saint-Barthélemy.

On a raconté que cette cloche fameuse était devenue un accessoire de théâtre - ô décadence ! - on a dit qu' elle appartenait à la Comédie-Française, on a dit aussi qu' elle était à l' Opéra et que c' était elle qui sonnait le glas fatal dans l' opéra des Huguenots. Eh bien, il n' en est rien. M. Georges Montorgueil, qui connaît son histoire de Paris mieux que personne, a prouvé que la cloche de la Saint-Barthélemy était toujours dans la tour de Saint-Germain-l' Auxerrois.

Sous la conduite du bedeau, par des échelles très raides, il a pu monter presque jusqu' à elle, il l' a vue, il l' a presque touchée.

Lorsque la Révolution décida que les cloches seraient fondues pour en faire des sous et des canons, le clocher de Saint-Germain-l' Auxerrois possédait trois cloches de grosseur à peu près égale. On en prit deux et on laissa la troisième pour sonner le tocsin si besoin était. Les deux cloches fondues s' appelaient Vincent et Germain ; la troisième, qui fut préservée de la destruction, était un peu plus grosse que ses deux compagnes ; elle se nommait Marie.

C' était la cloche fatale. Elle est très ancienne. A frapper le bronze au même point, le battant l' a usée et on a dû plusieurs fois la changer d' orientation. Sur le métal, on lit cette inscription en caractères gothiques : L' an quinze cent vingt-sept fut faicte nommée Marie pour accorder avec Germain et Vincent, en ce lieu fut mise, le roy François régnoit pour lors que fut faicte cette devise. L' image de la Vierge figure plusieurs fois sur les flancs de la cloche, représentée dans une niche gothique, et tenant l' enfant Jésus dans ses bras. A ses pieds sont gravés les mots : Ave Maria.

M. Montorgueil dit que cette cloche, qui appela au massacre la nuit de la Saint-Barthélemy, a environ 1 m. 20 de diamètre. Le marteau qui, aujourd' hui, la frappe, est à l' extérieur. C' est elle qui carillonne les grandes fêtes de la paroisse et les actes essentiels de la vie des paroissiens.

Elle n' a plus de rôle dans la cité. « Elle eut son heure, heure entre toutes sinistre, elle est redevenue la sereine et grave annonciatrice. »

***

Peut-on parler des sonneurs de cloches sans consacrer un chapitre aux carillonneurs ? Le carillonneur est l' artiste de la cloche.

Comme le dit très justement le célèbre musicographe Fétis, il ne suffit pas d' entendre un carillonneur pour se faire une idée juste de son mérite et de la difficulté de son art, il faut aussi le voir se livrer à son pénible exercice.

Deux claviers sont placés devant le carillonneur : le premier est destiné aux mains pour exécuter les parties supérieures ; le second, qui doit être joué par les pieds, appartient à la basse. De gros fils de fer partent de toutes les cloches et viennent aboutir à l' extrémité inférieure de chaque touche de ces claviers. Ces touches ont la forme de grosses chevilles que le carillonneur fait baisser en les frappant avec le poing ou le pied. L' artiste est assis sur un siège assez élevé pour que ses pieds ne posent point à terre, afin qu' ils tombent d' aplomb et avec force sur les touches qui appartiennent aux grosses cloches.

Un tel exercice exige une force musculaire peu commune. Quand le carillonneur l' a pratiqué une demi-heure durant, il est en sueur et doit prendre un repos bien gagné. Il y a cependant des villes flamandes où le carillonneur municipal joue tous les jours, sans désemparer, entre onze heures et demie et midi. Quant aux jours de fêtes carillonnées, il doit faire retentir son carillon d' heure en heure pendant toute la journée. Ces jours-là sont les jours de grande fatigue pour le carillonneur. Heureusement qu' ils sont rares dans l' année.

Cet instrument, qui a encore dans quelques cités septentrionales ses exécutants attitrés et officiels, eut naguère ses virtuoses renommés.

Amsterdam eut un carillonneur illustre qui s' appelait Pothof. C' est le premier, peut-être même le seul, qui ait écrit des

pièces pour le carillon.

« Le hasard, dit encore Fétis, a, fait tomber entre mes mains un recueil manuscrit de ses compositions. J' avoue qu' elles m' ont causé autant d' étonnement que de plaisir. Toutes ces pièces sont écrites à trois parties l' harmonie en est très pure, remplie d' imitations, de canons, de fugues dont la difficulté serait grande sur un clavier ordinaire, et qu' on serait tenté de croire inexécutables sur celui d' un carillon. On y trouve de jolies mélodies variées par des traits rapides qui exigent une prodigieuse agilité des poignets et des pieds...»

Le savant écrivain musical a connu un autre maître du carillon. C' était un artiste nommé Rodin, qui était de Saint-Omer.

Je ne crois pas, dit Fétis, qu' il ait rien écrit ; il improvisait toujours, et c' était avec une verve, un bonheur d' inspiration qu' on serait tenté de croire incompatibles avec le travail mécanique si fatigant de l' art de jouer du carillon. C' était aussi à trois parties réelles qu' il traitait l' harmonie de ses improvisations, et souvent il s' engageait dans des modulations piquantes qu' il savait préparer en ne frappant, qu' avec légèreté les notes du ton qu' il quittait pour qu' elles ne se prolongeassent pas sur le ton nouveau où il entrait.»

Cette fierté professionnelle que je signalais plus haut chez les sonneurs de cloches se retrouve plus vive encore peut-être chez les carillonneurs. L' art de jouer du carillon se transmet de père en fils. J' ai conté naguère l' histoire d' une famille de carillonneurs dont les membres se sont succédé ainsi depuis la Révolution, depuis que les moines furent chassés d' une vieille abbaye septentrionale qui possédait un superbe carillon de trente-huit cloches. Cette histoire est parfaitement authentique. Pendant plus d' un siècle, dans cette petite ville septentrionale, les carillonneurs ont cherché avant tout à développer chez leurs enfants d' amour de la musique aérienne. Ils ont voulu que le carillon communal demeurât le fief de leur famille. Et il l' est demeuré.

Le modeste sonneur de cloches qui, chaque jour, sème l' harmonie sur la cité en manifeste quelque orgueil. Au fait, n' a-t-il pas de bonnes raisons d' être fier de cette fidélité que les siens gardèrent de tout temps au métier, à l' art familial ? Il parle de ses aïeux comme les rejetons de familles nobles parlent des leurs. Et, franchement, cette noblesse du travail n' en vaut-elle pas bien une autre ?

LAUT, Ernest

Le Petit Journal illustré (19-04-1908)

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    Actualització: 20-04-2024
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